Le médecin du travail ne saurait établir un certificat qu’en considération de constats personnellement opérés par lui, tant sur la personne du salarié que sur son milieu de travail.
C’est l’un des enseignements d’un arrêt rendu le 6 juin par le Conseil d’État.
L’affaire jugée concerne un médecin du travail d’une très grande entreprise chargée de missions de service public. En décembre 2011, alors qu’il était en fonction sur un site, il avait rédigé un certificat médical en faveur d’un salarié d’une société travaillant sur le même site mais relatif à des faits qui s’étaient déroulés en avril 2011. Problème : à l’époque, le salarié travaillait déjà pour le compte de la société mais sur un autre site que le médecin ne connaissait pas. Le certificat a été produit par le salarié devant le juge prud’homal dans le cadre d’une instance l’opposant à son employeur, lequel a porté plainte contre le médecin du travail devant les instances disciplinaires de l’Ordre des médecins au motif qu’il avait, en établissant ce certificat, méconnu les obligations déontologiques fixées par les articles R. 4127-28 et R. 4127-76 du Code de la santé publique. La chambre disciplinaire de première instance lui a infligé la sanction de l’avertissement, sanction confirmée en appel par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins. Le médecin s’est alors tourné vers le Conseil d’État, lui demandant de se prononcer sur : 1) la recevabilité de la plainte de la société ; 2) la sanction qui lui a été infligée.
Employeur lésé. - Faisait débat l’action disciplinaire contre un médecin intentée par un employeur. Pour les hauts magistrats, les dispositions de l’article R. 4126-1 du Code de la santé publique « confèrent à toute personne, lésée de manière suffisamment directe et certaine par le manquement d’un médecin à ses obligations déontologiques, la faculté d’introduire, par une plainte portée devant le conseil départemental de l’ordre et transmise par celui-ci au juge disciplinaire, une action disciplinaire à l’encontre de ce médecin ». Elles permettent ainsi à un employeur, dès lors qu’il est lésé de manière suffisamment directe et certaine par un certificat ou une attestation établie par un médecin du travail, d’introduire une plainte disciplinaire à l’encontre de ce médecin. Le Conseil d’État approuve la chambre disciplinaire nationale d’avoir statué comme cela a été rappelé en jugeant que la mention, dans un certificat médical produit par un salarié devant le juge prud’homal dans le cadre d’un litige l’opposant à son employeur, d’un « enchaînement délétère de pratiques maltraitantes » de la part de ce dernier, lésait cet employeur de manière suffisamment directe et certaine pour que sa plainte dirigée contre le médecin auteur de ce certificat soit recevable.
Respect des obligations déontologiques. — Il est un autre aspect de l’arrêt qui mérite attention : le médecin « ne saurait (…) établir un (…) certificat qu’en considération de constats personnellement opérés par lui, tant sur la personne du salarié que sur son milieu de travail ». Ce, alors que le Code du travail lui confère le droit d’accéder librement aux lieux de travail et d’y réaliser toute visite à son initiative (C. trav., art. R. 4624-3 ). En l’espèce, de respect des obligations déontologiques il n’y avait pas eu de la part du médecin, pour le Conseil d’État qui reprend les constatations des juges du fond : 1) dans le certificat établi le médecin en fonction sur un site « avait pris parti sur le bien-fondé d’un droit de retrait exercé plus de huit mois plus tôt sur un [autre] site (…) qu’il ne connaissait pas » ; 2) il avait laissé entendre que la société ne respectait pas ses obligations en terme de protection de la santé des salariés sans préciser les éléments qui le conduisaient à une telle suspicion et qu’il aurait été à même de constater ; 3) il lui reprochait notamment des « pratiques maltraitantes » sans là encore faire état de faits qu’il aurait pu lui-même constater. Bref, le médecin a pris en considération des faits qu’il n’avait pas personnellement constatés pour établir le certificat médical litigieux, bafouant les obligations déontologiques auxquelles il est tenu.
Source : LexisNexis